Depuis les résultats des élections municipales du 23 mars 2014 marqués par la montée du Front National, une tribune dans Le Monde d’Alain Badiou de mai 2012 refait surface : elle s’intitule « Le racisme des intellectuels », et cherche à comprendre l’importance du vote pour Marine Le Pen. Badiou s’en prend à ceux qui imputent la montée du vote FN au « peuple d’en bas », assigné à la passion, à l’irrationalité, au racisme, etc. Pour lui, la responsabilité vient avant tout d’en haut, « les responsables successifs du pouvoir d’Etat, de gauche comme de droite, et un ensemble non négligeable d’intellectuels.» : « Honte aux gouvernements successifs, qui ont tous rivalisé sur les thèmes conjoints de la sécurité et du « problème immigré » […] ! Honte aux intellectuels du néo-racialisme et du nationalisme bouché, qui ont patiemment recouvert le vide laissé dans le peuple par la provisoire éclipse de l’hypothèse communiste d’un manteau d’inepties sur le péril islamique et la ruine de nos « valeurs » ! » Comment ne pourrait-on pas compléter cette déclamation indignée par « Honte à Badiou ». Celui-ci ne porte-t-il pas en effet une responsabilité écrasante dans la légitimation et la circulation des idéologies fascisantes dans l’espace intellectuel et politique contemporain ?
Alain Badiou a successivement publié des livres de débats (!!!) avec deux des idéologues les plus réactionnaires et inquiétants d’aujourd’hui, Alain Finkielkraut (avec qui il a ensuite joué un numéro de duettiste à la télévision, dans les journaux, comme s’il s’agissait d’un spectacle en tournée) et Jean Claude Milner. Quelques jours avant les élections municipales, il a débattu, chez Mediapart avec Laurent Bouvet, l’un des promoteurs de ce que tout le monde s’accorde à désigner comme un mouvement de rapprochement entre la gauche et les thèmes lepénistes.
Il a toujours existé des idéologues réactionnaires, inquiétants, sommaires, etc. Dès lors, la responsabilité essentielle de leur diffusion incombe nécessairement d’abord à ceux qui les reconnaissent comme des interlocuteurs légitimes, qui construisent leur espace de débat par rapport à eux, qui, au lieu de traiter ce qu’ils expriment comme des symptômes, ou comme du bruit, ou comme du rien, font comme s’il s’agissait d’ « idées » que l’on pouvait discuter, leur accordant ainsi tout ce qu’ils demandent. En accomplissant une telle opération de légitimation, Alain Badiou représente l’un des acteurs de la construction d’un espace public, intellectuel et politique dans lequel circulent des thématiques, des problématiques et des visions d’extrême-droite.
Soulignons enfin qu’Alain Badiou fait comme si la propagation d’idéologies néo-racialistes, nationalistes, etc. entretenait un rapport avec une relative éclipse de l’hypothèse communiste. Malheureusement, sa pratique semble plutôt démontrer l’existence d’une étrange solidarité entre les deux, qui feraient dès lors figure d’adversaires complices. Cette complicité – qui devrait nous inciter à la plus grande vigilance relativement au sens que Badiou tend à donner à l’idée communiste – contribue à un puissant effet de censure des paroles qui ne s’inscrivent pas dans la mise en scène bien orchestrée de ce « débat ».
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