La politique c’est la confrontation. Grandeur de la France Insoumise

Tribune parue dans Libération le 19 mars 2024. L’offensive qui cherche à discréditer La France Insoumise vise l’idée même de gauche. La France Insoumise s’oppose à une sorte de censure que certains (notamment les journalistes politiques) voudrait imposer et qui consistent à imposer le fait que l’on devrait faire allégeance à une forme de bienséance, à un vocabulaire poli et policé, sous peine d’être exclu de l’espace légitime de la prise de parole «respectable». Pourquoi faudrait-il que la violence soit partout sauf dans le langage de la politique ? Enfin du réel en politique.

Pas une semaine, pas un mois ne passe sans que les prises de position de La France insoumise, et de Jean-Luc Mélenchon, en particulier, ne suscitent des attaques virulentes surgissant de toutes parts. Si les fractions conservatrices du champ politique mènent à travers elles leur guerre naturelle contre la gauche, ces offensives sont régulièrement relayées par la plupart des journalistes politiques mais aussi par les fractions domestiquées du camp progressiste, voire par certains membres de LFI, qui se joignent à elles pour dénoncer les attitudes «clivantes», les «excès», les «ambiguïtés», le risque de l’«isolement».

Les séquences de ce type se sont multipliées ces dernières années : lorsque Jean-Luc Mélenchon a désigné des policiers comme des «barbares» et certains syndicats de policiers comme des «factieux» qui réclament un droit de pouvoir tirer sur les gens, lorsque Aurélien Saintoul a qualifié l’ex-ministre du Travail d’«assassin», lorsque l’image de journalistes connus pour leur hostilité à la gauche a été utilisée pour inciter les électeurs à se mobiliser pour les élections européennes, lorsque La France insoumise a participé à la marche contre l’islamophobie, et, dernièrement, lorsqu’ils ont dénoncé l’attaque du Hamas du 7 Octobre comme relevant de «crimes de guerre».

Nommer le monde pour ce qu’il est

On a évidemment le droit d’être en désaccord avec telle ou telle de ces prises de position. On peut par exemple penser, comme c’est mon cas, qu’il aurait mieux valu qualifier de «terroristes» les atrocités du 7 Octobre perpétrées par le Hamas. Mais l’on doit aussi noter qu’’interroger les catégories discursives qui s’imposent à un moment donné, surtout dans un tel contexte, et les conséquences militaires qu’elles ne manqueraient pas d’entraîner, est une vertu politique, et même un droit, et que ce n’est pas parce que l’on résiste à l’obligation de parler d’une certaine manière et avec certains mots prédéfinis que l’on se rend complice des crimes que l’on cherche à la fois à dénoncer, à penser et à réinscrire dans leur histoire.

Comment expliquer qu’un mouvement largement connecté aux champs scientifiques et intellectuels, qui aspire à une VIe République et dont le programme est le plus protecteur des libertés individuelles, puisse être si régulièrement et avec tant de mauvaise foi qualifiée de «populiste», d’ «antidémocratique», d’«autoritaire» ?

Chaque fois qu’il y a eu polémique, c’est parce que La France insoumise a cassé un jeu politique qui dénie la violence des rapports sociaux. La France insoumise interroge ce que l’on pourrait appeler «le droit d’entrée linguistique dans le champ politique». Elle refuse que ce champ se referme complètement sur un monde de concepts creux, sur un vocabulaire aseptisé et des débats policés. Elle s’oppose à une forme de censure que certains (notamment les journalistes politiques) voudrait imposer et qui consistent à imposer le fait que l’on devrait faire allégeance à une forme de bienséance, à un vocabulaire poli, sous peine d’être exclu de l’espace légitime de la prise de parole «respectable».

Praticienne de la confrontation linguistique, La France insoumise affirme l’exigence d’un langage politique frontal. Enfin du réel en politique ! Pourquoi faudrait-il que la violence soit partout sauf dans le langage de la politique ? La prédélimitation contemporaine de l’espace du dicible fonctionne comme un redoutable instrument d’éradication de tout ce qui définit une parole de gauche – c’est-à-dire une parole qui bouscule, qui nomme le monde pour ce qu’il est : un monde d’antagonisme, un monde de confrontation, un monde cruel. Comme nous l’a appris le sociologue Abdelmalek Sayad, la politique, ce n’est pas la politesse. C’est même le contraire.

Contre le suivisme de la politique actuelle

L’hostilité militante que suscitent La France insoumise et les campagnes de dénigrement menées contre elles sont une réaction à son refus d’obtempérer, son insistance à employer des concepts ou des tactiques qui, au lieu d’euphémiser ce qui se passe, désignent des affrontements concrets et donc des adversaires. L’offensive idéologique contemporaine qui cherche à discréditer La France insoumise en voulant construire le champ politique sur l’exclusion de ce type de parole vise donc l’idée même de gauche. Pour être acceptable, il faudrait que la gauche ne soit plus la gauche. Et l’on ne peut donc être qu’accablé lorsque l’on constate que certains, qui devraient être solidaires, se prêtent à ce jeu mortifère, révélant ainsi une disposition plus grande à la docilité qu’à la résistance.

Il y a quelque chose dans l’attitude de La France insoumise que l’on pourrait désigner comme «une éthique de la rétivité». La gauche, ce ne peut pas être le conformisme. La gauche, c’est la critique généralisée et la confrontation, ce n’est ni la connivence ni l’invocation vide de sens.

Le rapport au discours de La France insoumise fonctionne aujourd’hui comme un test de domestication. L’un des comportements les plus pathétiques de la politique actuelle, c’est le suivisme – le fait de parler comme on imagine qu’il faut parler en anticipant la réaction des réseaux sociaux ou pour être invité dans les médias –, se privant alors de la possibilité de tenir un discours qui ferait dissensus.

Si la gauche contemporaine est menacée par quelque chose, c’est par l’action combinée de la restriction de notre espace discursif et de la quête de respectabilité propre à certains acteurs du champ politique. Et c’est à l’inverse dans l’indocilité réfléchie contre les pouvoirs institués, qui caractérise l’attitude de La France insoumise, qu’elle trouve, aujourd’hui, sa plus parfaite définition.

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